LES MAÎTRES DU DOMAINE : PLONGÉE
AU COEUR D'UNE FRATERNITÉ TOXIQUE
Avec "Les Maîtres du domaine", publié en juin 2025 chez Gallimard (collection Série Noire), Jo Nesbø poursuit la saga sombre et glaçante entamée avec "Leur domaine". L’auteur norvégien, reconnu mondialement pour ses thrillers haletants, livre ici un second volet où les liens du sang se confondent avec la violence, la manipulation et l’obsession du pouvoir. Un polar scandinave qui confirme sa maîtrise du suspense psychologique.
Chronique • Les Maîtres du domaine • Jo Nesbø
Le récit s’ancre dans le village isolé d’Os, en Norvège. Roy et Carl Opgard, deux frères au passé familial marqué par la tragédie, portent en eux la mémoire des drames et des secrets. Leur enfance a été assombrie par la mort de leurs parents, dans des circonstances troubles qui les lient encore aujourd’hui à des actes criminels. Depuis, leur fraternité repose sur une alliance ambiguë, mélange de loyauté et de rancune, cimentée par plusieurs meurtres destinés à protéger leur domaine et leurs ambitions.
Dans ce deuxième volet, un projet de tunnel menace l’équilibre du village et l’avenir de la communauté. Pour Roy et Carl, l’enjeu est double : préserver leurs terres et renforcer leur influence. Mais leur façon d’agir reste toujours la même : manipuler, corrompre et éliminer quiconque se met en travers de leur route.
L’auteur met en place un jeu dangereux. D’un côté, les frères Opgard qui luttent pour garder la mainmise sur Os et dissimuler leurs crimes. De l’autre, la police locale qui multiplie les découvertes compromettantes, comme deux carcasses de voitures contenant les restes de victimes, dont leurs propres parents. Ces révélations resserrent l’étau judiciaire, mais elles révèlent surtout les fissures grandissantes dans l’alliance fraternelle.
Car au-delà de la menace extérieure, le danger vient de l’intérieur. Roy et Carl, autrefois inséparables, voient leur relation se transformer en champ de bataille. La rivalité, la jalousie et les rancunes refoulées resurgissent. Chaque geste, chaque mot devient suspect, et la méfiance s’installe durablement. Peu à peu, la fraternité se délite pour laisser place à un duel silencieux mais implacable.
Jo Nesbø parsème son récit de nombreux personnages secondaires – villageois, proches, figures d’autorité – qui accentuent la densité du roman. Si vous n'avez pas lu le premier tome : "Leur domaine", cette richesse rend l’entrée dans l’histoire assez complexe. L’auteur nous emmène dans l’intrigue assez lentement, tout en abordant la complexité des relations entre les protagonistes.
Avis • Les Maîtres du domaine • Jo Nesbø
Avec "Les Maîtres du domaine", Jo Nesbø propose un thriller psychologique exigeant. Pour ceux qui n’ont pas découvert "Leur domaine" (comme moi), l’entrée dans l’univers est assez ardue avec des personnages nombreux et les allusions au passé constantes. Pourtant, la force de ce roman réside dans la montée progressive de la tension dramatique et dans le portrait glaçant de deux frères en chute libre.
Le suspense reste discret mais fonctionne, nous maintenant en éveil sans chercher les grands effets. Peu à peu, on s’attache aux personnages, presque malgré soi, car Nesbø les dépeint de façon rugueuse et loin de toute sympathie facile. Ce n’est pas un polar classique, ni tout à fait un thriller : c’est surtout une fresque scandinave sombre, aux allures de saga familiale où la rivalité et la discorde entre deux frères occupent le premier plan. Les amateurs de ce genre d’univers y trouveront une atmosphère singulière, et les plus patients pourront savourer une plongée aussi troublante que captivante dans ce monde âpre et fascinant. Pas de tome 3 à prévoir car l'auteur à l'air d'avoir posé un point final à cet histoire. Mais qui sait....
Extraits • Les Maîtres du domaine • Jo Nesbø
Si Carl et moi gardions des intérêts financiers concordants, nos destins économiques étaient moins enchevêtrés depuis que j'avais revendu une partie de mes actions. L'idée de me trouver opposé à lui dans des enchères pour ce camping était parfaitement absurde, certes, mais nous n'étions plus dans le même bateau. En tout cas financièrement. En ce qui concerne la prison à perpétuité, c'était une autre affaire.
Le corps formant un angle droit, Sigmund Olsen ressemblait à une poupée désarticulée, un épouvantail dont le buste et la tête retombaient devant la plaque d'immatriculation et le coffre. Le sang s'écoulait encore de sa chevelure et éclaboussait les pierres dans un bruit évoquant des claquements de langue. Mais il faisait un piètre épouvantail, l'ancien lensmann, car un corbeau était perché sur son abdomen, les serres autour de sa grosse boucle de ceinture, et il m'avait fallu le bombarder de cailloux pour qu'il s'envole.
Carl a acquiescé, il savait à quoi je faisais allusion. Kurt possédait de quoi tout faire péter, mais avant de faire exploser la dynamite, il devait sortir de la pièce, s'éloigner de nous. Pas de liens, pas de conflits d'intérêts. Ils avaient trouvé quelque chose dans les épaves, aucune autre raison ne pouvait expliquer qu'il renonce à son contrat d'entraîneur et à l'occasion de devenir une véritable légende à Os. Enfin, bien sûr, il aspirait toujours à devenir une véritable légende, mais dans un autre secteur. Il serait l'homme qui avait élucidé les meurtres non seulement de son père, mais d'un total de sept personnes, sept meurtres sur lesquels il avait plus ou moins été seul à enquêter pendant toutes ces années. Alors j'ai applaudi encore. Car il méritait d'être acclamé, cet enfoiré de guerrier des tranchées, cet increvable, qui avait tenu bon quand les saisons se succédaient sans jamais rien de nouveau sur le front.
S'il nous a fallu un peu de temps pour déterminer que c'était le sang et les cheveux de mon père, c'est parce que nous n'avions ni profil génétique ni fragments biologiques d'où extraire son ADN. À l'époque, personne n'a eu l'idée de garder pour plus tard quelques cheveux recueillis sur une de ses vestes, par exemple, et aujourd'hui, tout a été ou nettoyé ou jeté, à part une chose.
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