PLONGÉE DANS LES ABÎMES AVECLES COLÈRES DU MAL
Dans Les colères du mal, Franck Lopez plonge au cœur de Paris, où les péchés capitaux deviennent la signature d’un tueur sans visage. Entre visions, dépendance et fantasmes morbides, Élias, commissaire au bout du rouleau, avance dans une enquête qui le consume autant qu’elle le guide. Le roman s’ancre dans une atmosphère suffocante, rythmée par l’alcool, la folie et des scènes de crime d’une violence calculée. Ici, aucune lumière pour adoucir les ténèbres : seulement un flic qui lutte contre lui-même autant que contre le monstre qu’il poursuit.
Chronique Roman : Les colères du mal • Franck Lopez
L’histoire suit Élias Vignaux, commissaire de 52 ans rongé par l’alcool, la solitude et les blessures de toute une carrière. Il boit, fume et enchaîne les nuits blanches, secoué par les images de victimes qu’il n’a jamais pu sauver. Hanté par les cadavres croisés au fil de ses enquêtes, il s’est endurci, refermé, presque éteint. Chaque scène de crime le secoue, chaque hurlement imaginé fissure davantage son esprit. L’alcool lui sert de carburant et de refuge, un moyen de tenir debout sans jamais s’écrouler. Élias a dépassé la ligne rouge depuis longtemps, persuadé lui-même que la folie le frôle, peut-être même qu’elle l’habite.
L’affaire débute avec le péché de Luxure, lorsqu’on retrouve le corps atrocement mutilé d’Annabelle Brochard, disparue depuis 2013. La mise en scène est chirurgicale : entailles symétriques, abdomen ouvert, organes visibles, corps lavé par la pluie. Le tueur laisse un mot : « Luxure ». On comprend vite qu’il ne s’agit pas d’un meurtre isolé.
Mais Élias, fidèle à son caractère, avance surtout seul. Les scènes s’enchaînent avec le péché de Paresse, lorsqu’un clochard, celui qui avait découvert Annabelle, est retrouvé égorgé, vidé de ses organes avec une précision glaçante. Puis vient l’Envie, avec un cadavre compressé dans un coffre, contorsionné au point de briser ses vertèbres. À chaque crime, un mot. À chaque mise en scène, un puzzle.
Le tueur orchestre sa pièce macabre autour des sept péchés capitaux. Surtout, il paraît connaître Élias, jouer avec ses failles, ses hallucinations, ses visions d’alcoolique. Chaque scène devient une provocation personnelle. Même Charles, le légiste, et frère d’Élias, laisse entendre que le meurtrier vise explicitement le commissaire, même si cette déduction semble déroutante et trop facilement trouvée.
Au fil des pages, le tueur devient une ombre qui se volatilise, un fantôme presque impossible à saisir. Pendant que les crimes se multiplient, on suit aussi la naissance du monstre, son enfance, les maltraitances subies, la haine viscérale, les dissections d’animaux, puis les meurtres. La libération qu’il ressent, l’extase morbide de donner la mort, tout cela construit une psyché dévorée par la dualité entre contrôle et destruction.
Élias, lui, sombre. L’alcool devient gouffre, hallucinations, refuge pour oublier une douleur intime, un amour perdu. Son enquête n’en est pas vraiment une : pas de méthode, pas d’équipe soudée. Juste lui, ses visions, son whisky, ses intuitions tordues. Il touche les pièces à conviction, s’imprègne des scènes, mélange réalité et délire. Le tueur l’écrit, l’imite, lui parle à travers les cadavres.
La traque devient une descente aux enfers à travers Paris, où chaque péché rapproche Élias de la vérité… mais aussi de sa propre noirceur.
Les colères du mal est un roman qui s’enfonce profondément dans le côté sombre de l’âme humaine, en abordant l’alcoolisme, la manipulation psychologique, la violence ritualisée et la fragilité mentale d’un policier au bord du gouffre.
Dès les premières pages, j’ai été frappée par la noirceur assumée du récit : Élias ne lutte pas seulement contre un tueur, il se bat contre lui-même. Cette dualité est au cœur du roman. L’alcool occupe une place centrale, presque un personnage à part entière. Il anesthésie Élias, le guide parfois, le détruit souvent. Le tueur le sait, en joue, en profite, et c’est ce qui rend cette traque particulièrement fascinante.
L’ambiance rappelle forcément Seven, mais Franck Lopez évite le piège du plagiat : les péchés capitaux sont exploités avec créativité, précision et une noirceur parfaitement dosée. Chaque scène de crime est glaçante, presque picturale dans son horreur. Le tueur devient une silhouette fantomatique, insaisissable, manipulatrice.
Ce qui m’a marquée, c’est l’absence de « vraie » enquête structurée. Élias avance seul, dans le chaos, dans ses vapeurs d’alcool, porté par des visions et des sensations plutôt que par des indices. C’est déroutant, parfois frustrant, mais totalement cohérent avec sa psyché brisée.
Le roman explore également la fabrication d’un meurtrier : son enfance, ses souffrances, sa montée progressive vers la violence extrême, jusqu'à l’extase morbide de donner la mort. Cette partie est saisissante, très immersive. Quelques points étonnants subsistent, notamment la facilité avec laquelle Charles, le légiste et frère d’Élias, déduit que le tueur connaît personnellement le commissaire, simplement en observant les scènes. Cela donne un coup de pouce trop rapide à l'enquête, avec une vérité que l'on aurait aimé découvrir sur la longueur du récit.
Les colères du mal est un thriller poisseux, dérangeant, psychologique, qui ose aller au bout de ses intentions. Un roman où l’alcool, la folie et la mise en scène macabre s’entremêlent dans un ballet destructeur. J'ai beaucoup aimé. Hâte de découvrir d'autres romans de Franck Lopez.
Extraits Roman : Les colères du mal • Franck Lopez
Et l’homme se retourna vers un autre en lui disant : « Si on devait se justifier de nos horreurs, d’êtres cruels et impitoyables ? » Alors le second lui rétorqua : « Inventons les Dieux, nous dirons que c’est de leur faute. »
Il voulait en avoir le cœur net, il avait besoin de réponses comme toujours, cette unité de l’existence qui le caractérisait et pour comprendre l’inexplicable, il devait explorer ce qu’était la vérité à travers les textes, les références du tueur, il fallait entrer dans sa tête, interpréter sa logique pour comprendre quel cadavre allait encore surgir au coin de la capitale.
Combien de temps était-il resté ainsi ? Il l’ignorait, une ou dix minutes, mais bientôt, alors que dans la grande salle tout à côté le pigeon se régalait de cet espace en faisant claquer ses ailes dans l’air, il finit par reprendre ses esprits, ouvrant à peine les paupières sur un décor qu’il connaissait. La voûte de la sacristie était si calme et paisible, les dessins modelés sur les plaques en marbre étaient fixes, plus aucune ondulation, plus aucun mouvement de toutes ces gravures, rien que le silence et l’oiseau. La grande robe qu’il avait arrachée en tombant recouvrait ses jambes, le cintre éventré avait rebondi sur son front, laissant une marque rouge qu’il frotta en se redressant. Il était tombé dans son piège, il savait qu’il ne résisterait pas à la tentation de boire et avait ajouté suffisamment de produit dans le vin pour provoquer son malaise. Deux fois qu’il le croisait, deux occasions de le coincer qui se soldaient en revers, il jouait avec lui.
Il lisait et relisait les mots abscons, les phrases d’un autre temps, les sacrifices humains, tous ces rituels et les morts atrocement mutilés sur des gravures en relief exécutées sur des planches débitées dans le sens des fibres et les mots dansaient dans sa tête entre orgueil et paresse, envie et luxure, l’avarice, il était fasciné par tant de péchés, un mélange d’introspection et de curiosité malsaine alors que le monde extérieur s’évanouissait, il s’enlisait dans une quête qui le dépassait, une quête qui deviendrait obsessionnelle.
Élias se surprenait à espérer que le cadavre apporterait un point final à cette énigme, il voulut croire qu’il serait le dernier comme une signature ultime, la pièce manquante de ce rébus, ce mystère. Les images de la chair putréfiée le poussaient à découvrir avec un plaisir morbide la dépouille nouvelle et il se demandait alors si lui aussi n’était pas un monstre parmi les autres. Il avait besoin de courage pour affronter les démons et il but encore pour mettre tous ses sens en éveil. Le whisky tiède se propagea rapidement dans son organisme, il inspira à fond et se sentit vivant en pliant le bout de papier et ce schéma qu’il rangea dans la poche arrière de son pantalon.


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