TROIS CARNETS DE STEPHANE LAVAUD
LE VERTIGE DE L’IMPOSTURE
Imaginez un homme ordinaire, confronté à un hasard qui va bouleverser sa vie entière. Trois carnets rouges trouvés au bord d’une autoroute deviennent pour lui une porte d’entrée vers un univers de mots et d’émotions d’une intensité inédite. Dans Trois carnets, Stéphane Lavaud nous entraîne dans une spirale qui mêlent désir d’exister et vertige de l’imposture. Un roman qui interroge subtilement le rapport entre création, admiration et identité.
Chronique Roman : Trois carnets • Stéphane Lavaud
Le narrateur (dont on ne connaîtra jamais le nom) mène une vie banale, marquée par son divorce et la garde partagée de ses enfants. Tout bascule lorsqu’il trouve par hasard trois carnets rouges abandonnés sur le bas-côté d’une autoroute. Subjugué par la puissance littéraire des textes qu’ils contiennent, il entreprend d’en recopier le contenu sur son ordinateur.
Dans sa vie privée, il partage une relation tendre et libre avec Sonia, une collègue qui illumine son existence. Mais lorsque Sonia lit les carnets, elle est bouleversée et persuadée que c’est lui, l’auteur de ces mots. Pris dans son propre mensonge, il endosse malgré lui le rôle d’écrivain talentueux.
Les évènements dérapent lorsque Sonia envoie le texte à un éditeur, qui décide de le publier. Sous le pseudonyme de Pierre Duroc, le narrateur devient rapidement un auteur en vue, invité à des salons littéraires, des plateaux télé et des séances de dédicaces. Mais derrière cette gloire soudaine se cache une imposture qui le ronge : il n’est pas l’auteur des carnets.
Peu à peu, la célébrité lui monte à la tête. Il se perd dans l’alcool, le tabac, l’oisiveté et l’excès, tout en priant pour que son mensonge ne soit jamais révélé. Il oscille entre son identité réelle – un homme banal – et son identité publique – un écrivain acclamé. Ce double jeu l’épuise et l’isole.
Au fil des pages, le lecteur suit sa descente dans la culpabilité et le vertige de l’imposture, jusqu’au point où tout menace d’éclater. Il est au bord du gouffre, pris entre le succès et la honte, entre l’amour de Sonia et le mensonge qui les unit. Le roman ne donne jamais véritablement de nom ni de visage à son héros : il reste un fantôme de lui-même, une silhouette dans la supercherie.
Avis : Trois carnets • Stéphane Lavaud
Trois carnets de Stéphane Lavaud repose sur une idée originale : un homme trouve trois carnets abandonnés sur une aire d’autoroute et voit sa vie bouleversée par leur contenu. Ce point de départ, à la fois simple et intrigant, suffit à éveiller notre curiosité pour comprendre où cette étrange découverte va nous mener.
Le roman met en avant la réflexion sur l’imposture, le mensonge et la soif de reconnaissance. Le narrateur, un homme ordinaire, glisse peu à peu dans un engrenage qu’il ne maîtrise plus. Sa vie n’a rien de passionnant : entre routine, solitude et désillusions, il se laisse emporter par le piège du succès, jusqu’à en perdre toute mesure.
L’auteur décrit très bien cette lente dérive : l’alcool, l’arrogance, l’excès, le mensonge permanent. L’homme qui voulait simplement être aimé finit par tout risquer, quitte à se détruire.
Un choix narratif intéressant : à aucun moment, Stéphane Lavaud ne dévoile le nom de son protagoniste. Cette absence d’identité accentue l’idée d’effacement, comme si le narrateur n’existait qu’à travers son mensonge. Derrière son pseudonyme d’écrivain, il devient une ombre, un homme sans visage, happé par le rôle qu’il s’est inventé. Ce parti pris donne au roman une dimension presque symbolique : celle d’un individu qui perd son identité à force de vouloir en emprunter une autre.
L'écriture de l'auteur est toujours aussi juste et captivante. Le personnage principal est extrêmement bien travaillé. On veut savoir jusqu’où ira le narrateur, comment il s’en sortira, et surtout si la vérité finira par éclater. Le suspense s’installe tardivement, mais la tension finale, lorsqu’il comprend que tout ne tient qu’à un fil, vient relancer l’intérêt et boucler habilement cette plongée dans la culpabilité et l’illusion.
Extraits : Trois carnets • Stéphane Lavaud
Que dire de ce que j’ai lu ? Que dire de ce tourbillon de mots qui à la fois m’a cloué au sol et propulsé dans les airs ? Comment exprimer ce sentiment ambivalent de suffocation, de suroxygénation ? Mon cœur que j’entends frapper durement dans ma poitrine, mon sang écumant sous la pression, mes yeux humides et irrités, mes poils qui se hérissent à percer mon pull, ce sentiment de confusion totale quant au temps, quant à l’espace, quant à la réalité de mon existence même. Que dire de tout ça ? Rien, si ce n’est que je n’avais jamais rien lu de tel.
Ce que j’ai vécu avec Sonia a ensoleillé mon existence, même si involontairement, elle l’a mise à sac. Les éléments se sont déchaînés contre moi, mais même si elle en est directement la cause, je ne peux lui en tenir rigueur. Jamais elle n’a eu d’autre souhait que mon bonheur.
Ensuite, nous avons trinqué de nouveau. Hiro s’était joint à nous et me félicita dix-sept fois en cinq minutes. Ça avait l’air de lui faire autant plaisir qu’à Sonia. On aurait dit dans leur regard que j’avais enfin trouvé le vaccin contre la mort. Mais qu’est-ce qu’il leur prenait ? J’avais envie de leur dire : « Mais arrêtez de vous réjouir, espèces d’inconscients ! Ne sentez-vous pas cette odeur de soufre qui empuantit l’atmosphère ? Ne voyez-vous pas la lumière décliner et les ténèbres poindre ? Et ce glas qui murmure toutes ces promesses d’ombre, ne vous fait-il pas grincer des dents ? » Mais je n’ai rien dit. J’ai continué à sourire connement et à vider mon verre.
Il me vint à l’idée que j’étais un peu comme lui [Superman]. Non pas à cause de ses supers-pouvoirs. J’étais comme Superman à qui il suffisait de mettre des lunettes pour dissimuler son identité secrète. Mais la question était de savoir quelle était cette identité. Était-ce celle d’un pauvre type qui subissait un coup du sort ou celle du plagiaire qui attendait de retirer des bénéfices de son usurpation ? Laquelle était réelle, laquelle secrète ?
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