ISABELLE LAFORTUNE ACCUSE
FRANCK THILLIEZ DE PLAGIAT
Depuis quelques semaines, le monde du polar bruisse d’une polémique : Isabelle Lafortune, autrice québécoise, accuse Franck Thilliez d’avoir plagié son roman Terminal Grand Nord (2019) dans Norferville (2024). Deux thrillers ancrés dans le même décor : le Nord du Québec, territoire hostile, isolé, marqué par le froid et par les blessures sociales des communautés autochtones. Mais qu’en est-il réellement ? Plongeons dans ces deux intrigues glaçantes pour comparer leur trame, leurs personnages et leurs thématiques.
Terminal Grand Nord d’Isabelle Lafortune
Résumé : Avril 2012, Schefferville. Natasha et Gina Mackenzie, deux jeunes filles innues de Maliotenam, sont retrouvées assassinées au milieu d’un troupeau de caribous. Strangulation, drogues, violences sexuelles : le drame bouleverse leurs parents, Jerry et Rita, ainsi que toute une communauté sous le choc.
Pour résoudre l’affaire, Émile Morin, directeur des enquêtes criminelles de la Sûreté du Québec, prend les commandes. À ses côtés, il fait appel à Giovanni Celani, surnommé “Johnny”, écrivain revenu dans sa ville natale treize ans après l’avoir fuie. Ce retour contraint l’homme à affronter ses fantômes, ses amours passés et les rancunes d’un village qui ne pardonne rien.
L’enquête s’élargit rapidement : résistances des habitants, pressions politiques, pistes brouillées... Schefferville se révèle comme un huis clos oppressant, miné par la drogue, les secrets de famille et les ambitions d’élus prêts à tout pour sauver la face.
Avis : Roman dense et parfois complexe, Terminal Grand Nord multiplie les personnages et les points de vue. Mais l’atmosphère est pesante : Schefferville devient un véritable personnage, miroir des blessures collectives et des fractures sociales. Isabelle Lafortune mêle polar, drame intime et fresque politique, avec un récit sombre, où le silence et les non-dits pèsent autant que la neige. Un roman qui se laisse lire mais ne sort pas du lot.
Norferville de Franck Thilliez
Résumé : Direction 1996, dans le bar miteux de Norferville. Léonie Rock et son amie Maya, deux adolescentes, sont kidnappées et violées par des hommes du coin. Menacées, terrorisées, elles garderont le silence. Cette nuit de cauchemar hantera leur existence.
Vingt ans plus tard, Léonie, devenue lieutenant de police, revient à Norferville pour enquêter sur le meurtre de Morgane Schaffran, fille de Teddy Schaffran, un psychocriminologue français. Le corps mutilé de Morgane a été retrouvé dans la neige, aux abords de la ville minière. Or Norferville n’est pas une ville comme les autres : isolée, rongée par l’alcool et la drogue, théâtre d’une cohabitation difficile entre Blancs et Innus, elle semble attirer les démons.
Léonie affronte à la fois ses souvenirs et une enquête impossible : communauté fermée, flics locaux hostiles, et surtout, un tueur qui pourrait bien appartenir à ce décor où chaque silence devient suspect. Aidée de Teddy, elle plonge dans les disparitions de femmes autochtones, sujet inspiré de faits réels longtemps ignorés par les autorités canadiennes.
Avis : Avec Norferville, Franck Thilliez offre un récit plus fluide, au rythme haletant. La tension s’installe dès les premières pages et ne retombe jamais. Les personnages sont rugueux, crédibles, portés par des blessures intimes. Si le décor reste celui du huis clos nordique, l’histoire s’ouvre davantage vers l’extérieur, donnant plus de souffle que le roman d’Isabelle Lafortune. La force du livre réside aussi dans son ancrage documentaire : disparitions d’Amérindiennes, violences institutionnelles, racisme systémique… des thèmes tirés directement de la réalité canadienne. Un récit aussi froid que puissant, qui reste gravé dans la mémoire.
Ressemblances et différences
Points communs :
• Cadre : une ville isolée du Nord québécois, Schefferville ou Norferville, avec sa mine de fer, ses hivers meurtriers et son ambiance de prison blanche.
• Victimes : des jeunes filles autochtones violentées, assassinées, souvent sous l’emprise de drogue ou d’alcool, et oubliées dans l’indifférence générale.
• Thèmes : silence des communautés, poids des non-dits, corruption, racisme et discriminations envers les Innus.
• Héros tourmentés : Giovanni revient à Schefferville treize ans après avoir fui sa ville natale ; Léonie retrouve Norferville vingt ans après l’avoir quittée à 16 ans. Tous deux sont rattrapés par leur passé et confrontés aux fantômes qu’ils avaient tenté d’oublier.
Divergences :
• Structure du texte : Lafortune privilégie un huis clos, Thilliez déploie une intrigue transatlantique, reliant Lyon au Grand Nord.
• Style : Terminal Grand Nord est plus foisonnant, parfois confus, tandis que Norferville s’avère limpide et tendu du début à la fin.
• Thématique : Lafortune met en avant la dimension politique et communautaire ; Thilliez insiste sur le traumatisme individuel et les disparitions d’Amérindiennes, la prostitution et les tueurs en série.
• Personnages clés : Giovanni (observateur externe) vs Teddy (psychocriminologue) apportent chacun une lecture différente de l’enquête.
• Vie sentimentale : Giovanni affronte ses amours passés, tandis que Léonie fuit un homme qu’elle n’aime pas vraiment et semble appelée à trouver l’amour dans la rudesse du Grand Nord.
Conclusion
La polémique autour d’un éventuel plagiat trouve ses racines dans ces nombreuses similitudes : décor, victimes, thématiques, mais aussi profils de personnages – Giovanni et Léonie/Teddy, confrontés à leur passé lors d’un retour dans le Nord –, ainsi que le poids de l’alcool et de la drogue dans le destin des jeunes filles autochtones.
Pour autant, les deux romans se distinguent par leur souffle, leur construction et leur style. Terminal Grand Nord plonge dans les fractures intimes d’une petite communauté, tandis que Norferville de Franck Thilliez s’élargit pour dresser un tableau glaçant des violences faites aux femmes autochtones, au cœur d’un territoire isolé et hostile.
Plagiat ou simple convergence d’inspiration ? La justice tranchera. Mais cette histoire a permis à Isabelle Lafortune de se faire connaître : personnellement, beaucoup de lecteurs n’avaient jamais entendu parler de Terminal Grand Nord avant cette polémique. C’est un coup marketing indirect : nombreux seront ceux qui voudront acheter les deux romans pour comparer. Et, au fond, tous les ingrédients de cette affaire reposent sur des faits réels et documentés, accessibles en ligne, ce qui rend l’intrigue crédible tout en nourrissant le débat.
Une chose est certaine : ces deux thrillers, chacun à leur manière, témoignent de la fascination littéraire pour ces territoires du bout du monde, où la neige cache souvent des vérités plus noires que la nuit polaire.
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